MICHEL POIVERT
Poétique des cintres, 2013

Depuis plus de dix ans, l’œuvre d’Aurélie Haberey dessine une courbe régulière et fatale. On peut, sans exagérer, affirmer que cette artiste fait partie de ceux qui traquent dans l’invisibilité quelque chose qui ne cesse de se dérober. Il s’agit donc d’une quête, mais dont l’obstacle de départ, à la manière d’un axiome, la pousse dans ses retranchements. Ce risque est au prix de l’œuvre même.

Pendant longtemps, les photographies ont été baignées d’une lumière matinale et printanière, mais l’on y distinguait qu’une suite d’énigmes. Les modèles et celui, central, d’une figure féminine, y accomplissent une sorte de danse lente voire immobile, mais surtout les images affirment un point de vue : pour celui qui regarde les photographies de jambes, de dos ou de croupes, la chorégraphie masque avant tout le buste et souvent les visages. Une demi marionnette suffisait à dire comment ne pas montrer.

Il n’est pas étonnant qu’une série s’intitule Les Secrets, puisqu’il s’agit précisément de cela. Car au fond, de quoi nous parle l’univers fait de retournements, de coupures et de renversements d’Aurélie Haberey ? Il n’échappera pas au regardeur que les motifs et les textiles – ces éléments appartenant à la catégorie « fille » de notre culture – qui se présentent comme en bégaiement par les motifs répétés de jupes, de jambes couvertes a demi et de rideaux – instituent un imaginaire de la suspension. Tout semble ainsi porté, et d’ailleurs la série intitulée Accessoires est a proprement parlé une chorégraphie de porteurs, et suspendu : des jupes qui tombent (mais qui jamais ne se soulèvent), des silhouettes en lévitation ou d’autres qui s’enfouissent, mais laissent flotter leur arrière.

Comment se défaire alors de l’idée que sous ces parures et cette économie de gestes inexpliqués, les secrets ne procèdent pas d’une fausse ingénuité ? Pourtant jamais – à peine dans la série des Compartiments - les formes ne suggèrent le désir. C’est le recouvrement qui toujours remporte la mise, tout en affirmant sa fragilité. Comme une robe sur un cintre. Le regardeur contemple l’univers aérien de ce qui chute.

Des cintres (encore) d’un théâtre du désir, tombe définitivement le rideau de scène pour ne jamais sembler pouvoir se relever. Aurélie Haberey a alors compris que l’invisibilité est son sujet. Minimale, littérale, sa photographie est un face à face avec le caché, et la névrose de voir se nourrit ainsi de sa frustration. La conjuration de la scopophilie attendait son image, elle nous est ici donnée.